Il y a dans l'humanité de grandes batailles que les humains de tous poils livrent aux autres ou se livrent à eux-mêmes. Le lâcher-prise est l'une d'entre elles.
Peut-on imaginer un jour un monde sans guerres, qu’elles soient extérieures ou intérieures ? Il y a peu de chances car le frottement et les réactions aux frottements sont dans la nature vitale de l’univers. Alors faisons avec, mais aussi avec l’humour et la dérision, au moins ça.
Le hatha-yoga est une voie à rebrousse-poil, qui a l’exigence de ce qui est à l’inverse de l’attitude ordinaire : redresser son corps alors que tout l'incite à l'avachissement, ne plus respirer alors que la privation d’air équivaut à la mort, ne plus penser alors que la rapidité d’esprit est synonyme d’intelligence et d’efficacité, etc.
Mais le “pire” n’est pas encore là, il est dans la paradoxale fusion des contraires du genre : éprouver le mouvement dans l’immobilité, ou l’inverse, observer le mental dans la non pensée, le souffle dans le non souffle, sentir l'énergie et faire chauffer son corps sans utiliser les tensions ou les mouvements neuromusculaires, etc.
De toutes, l’attitude qui semble au sommet du paradoxe est celle qui consiste à forcer, à se dépasser, sans faire d’efforts. Être capable d’une formidable intensité dans un profond lâcher-prise est peut-être l’alchimie la plus délicate à trouver, à mettre en place et à garder.
C’est sans doute l’intuition, le secret d’une recherche personnelle bien menée. Et c’est sûrement le seul chemin qui permette de passer dans les arcanes de la réussite spirituelle, même si cette dernière expression prête à rire ceux et celles qui pensent qu’en la matière il n’y a rien à faire (on peut toujours espérer être instruit-e sans étudier ou gagner au loto sans jouer, il suffit d’avoir un solide sentiment de supériorité…).
Le hatha-yoga est une méthode de yoga éminemment concernée par cette épineuse fusion de l’effort et du lâcher-prise. Il est difficile d’être à la fois détendu-e et au coeur d’un effort qui dépasse les limites ! Pourtant là se trouve le noeud gordien, le soutien du monde, les paires d’opposés qui font la cohésion du cosmos, et déroutent les petits humains que nous sommes… Une façon pour la nature de garder bien cachés les secrets de la liberté.
Alors y-a-t-il une recette, une fonction miracle qu’il suffirait d'activer quelque part en nous pour que “ça” se fasse ? Ou est-ce plutôt une longue, minutieuse et humble quête de chaque instant ? Devinez…
Quand on réalise ce qu’implique la réponse on comprend que certain-es préfèrent partir du postulat qu’il n’y a rien à faire, une façon élégante de se foutre de la gueule des autres, et de la sienne sans toutefois sans rendre compte !
S’il nous fallait adopter une devise, sorte de mantra récurrent et décapant, peut-être pourrions-nous répéter à longueur de journée : “faire une chose et son contraire, simultanément”.
Mais dites-moi, n’avez-vous pas déjà lu quelque chose d'équivalent dans un tantra ?
Christian Tikhomiroff ( paru dans linga, tradition et actualité du Yoga n°56, 2002 )